Critique : Mountains May Depart
Ouvrant MOUNTAINS MAY DEPART par une chorégraphie sur la chanson « Go West » des Pet Shop Boys, Jia Zhang-Ke esquisse avec ironie, dans l’allégresse d’un moment partagé, les enjeux d’évolution sociétale qu’il va développer sur une génération. De 1999 à 2025, il propose un voyage sensible au coeur d’une Chine partagée entre tradition et libéralisme.
A l’aube du 21ème siècle, Tao (sublime Zhao Tao) est courtisée par deux de ses amis, Zhang et Lianzi, qui habitent comme elle la ville de Fenyang. Le premier est propriétaire d’une station-service et compte bien se construire économiquement, l’autre est un modeste ouvrier dans une mine de charbon. Le choix que portera Tao déterminera son avenir…
Construisant son film en trois parties distinctes, Jia Zhang-Ke propose, au-delà du portrait d’une société chinoise en pleine mutation, d’aborder avec superbe les thèmes de l’amitié, de l’amour et de la filiation. Le premier chapitre pose le cadre. Il s’agit d’appréhender les protagonistes dans la réalité d’une ville minière à la fin de l’année 1999 alors que le contexte social et leurs aspirations définissent leurs choix de vie. Bientôt en couple, Tao, qui aime divertir ses amis en chantant, donnera naissance à un fils, prénommé Dollar.
Lorsque ce premier axe narratif, ponctué d’images documentaires, se clôt, le titre apparaît et le cadre s’élargit (le 4/3 laisse place au 16/9). Nous sommes propulsés en 2014 confrontés à l’hypothèse selon laquelle « Les vieux amis sont comme la montagne et le fleuve* ». Lianzi, Zhang et Tao se sont perdus de vue, malgré leurs liens passés. L’amitié et l’amour sont-ils immuables ? Une première question qui s’ouvre sur une autre, développée admirablement, les liens de filiations. Au décès de son père, Tao fait venir à Fenyang son fils qui vit à Shanghai. Des retrouvailles déchirantes alors que Dollar ne parvient pas à l’appeler « maman ». À la fois tendre et violent, cet axe narratif prend le pouls de la Chine contemporaine divisée entre les traditions et la transmission d’une part, et l’ouverture à l’occidentalisation et au capitalisme. Une division qui oppose également la notion de famille – et par extenso à celle de société – à une individualisation aveugle.
Freedom is yours
La troisième partie est celle de l’anticipation. En 2025, Dollar vit en Australie. Il parle couramment l’anglais ayant oublié le mandarin et refusant de se souvenir de son prénom ou de celui de sa mère. Il prétend même ne pas en avoir. Toutefois, le jeune homme, poussé aux études par un père qui n’est plus que l’ombre de lui-même, a soif de liberté. Mais quelle est-elle et quel est le prix à payer pour y prétendre ? Comme Tao, Zhang et Lianzi il est au printemps de sa vie et doit porter un choix…
Ce troisième axe contraste pleinement avec les deux premiers tout en leur répondant. A nouveau le cadre s’élargit, le réalisateur optant pour le scope. Il rend les paysages infinis tout en se concentrant sur la figure – et le visage – des personnages qu’il met en scène. Ancrant plus avant son questionnement sur les liens de filiation, il présage une société en perte de repère où les immigrés chinois vivant et étudiant en Australie ne connaissent plus la culture qui pourtant les a bercée. Emprunt de mélancolie, MOUTAINS MAY DEPART, malgré quelques longueurs et bien des bavardages, interpelle jusqu’à nous subjuguer. Après tout les questions soulevées ne sont-elles pas universelles ?
*traduction du titre original : Shan me gu ren.
MOUNTAINS MAY DEPART
♥♥(♥)
Réalisation : Jia Zhang-Ke
Chine – 2015 – 131 min
Distribution : ABC Distribution
Drame
Cannes 2015 – Sélection Officielle – Compétition
Film Fest Gent 2015 – Global Cinema