Critique : Journal d’une femme de chambre
Après l’avoir dirigée dans LES ADIEUX A LA REINE, Benoît Jacquot offre à Léa Seydoux le rôle principal de JOUNRAL D’UNE FEMME DE CHAMBRE, d’après le roman éponyme d’Octave Mirbeau dont il signe une nouvelle adaptation. Témoignant d’une approche résolument moderne, il dépoussière le film d’époque sans parvenir à nous emporter au coeur d’un récit dont la construction et l’évolution laissent dubitatif.
Célestine (Léa Seydoux) quitte Paris pour la province où elle entre au service de la famille Lanlaire comme femme de chambre. Élégante, la jeune femme est invitée par sa nouvelle patronne à quitter ses toilettes trop à la mode. Paris est loin, bien loin. Madame Lanlaire (Clotilde Mollet) lui fait la vie dure tandis que Monsieur (Hervé Pierre) lui fait des avances, mais Célestine a la caractère fier et fort. Des patrons, elle en a vu d’autres. Tentant vainement de se lier avec Marianne (Mélodie Valemberg), la cuisinière et avec Joseph (Vincent Lindon), le jardinier, Célestine devient la complice de Rose (Rosette), une domestique devenue compagne de son patron.
Le film s’ouvre sur l’âpre réalité à laquelle doit se plier Célestine alors qu’elle se rend au bureau de placement afin qu’on lui octroie une nouvelle place. D’emblée la force de son caractère s’impose tandis qu’elle défie la placeuse. Suivent bientôt le départ vers la province, la rencontre avec le taiseux Joseph et le froide Madame Lanlaire. A mesure que les actions s’enchainent et que s’ancre le récit, c’est une véritable photographie de la France du début du 20 ème siècle qu’impressionne Benoît Jacquot. Au coeur de cette reconstitution, plus encore en ébullition que l’époque, Célestine contraste par la distance qu’elle parvient à avoir face à sa situation. Mais qu’importe son intelligence et son esprit, son rang définit sa nature, ou est-ce l’inverse.
L’axe narratif se nourrit de ses rencontres, de ses tentatives de respirer lors de rares moments de liberté où elle se rend à la messe et converse avec les autres petites gens, et de l’oppression régulière et perfide infligée par Madame Lanlaire. Cette évolution et la continuité temporelle sont mises à mal plus que nourries par trois flash-back qui apparaissent collés et font écho, du moins pouvons nous le croire, aux pensées de Célestine. Nous sommes alors témoins de quelques bribes de sa vie passée au services d’autres bourgeois mais aussi de l’offre qui lui a été faite de quitter sa condition…
Ces séquences présentent-elles Célestine sous un autre jour (et offrent-elles à Léa Seydoux la possibilité de nous convaincre) que leur nature questionne. C’est que s’ancre également une autre modulation, celle de l’incursion du romanesque à travers la voix-over de la protagoniste jusqu’à l’esquisse de l’écriture de son journal. Loin de nous transporter cette pleine complicité nous laissera bientôt interdits face à l’incompréhensible fascination qu’a Célestine pour Joseph.
La fluidité de l’approche est-elle séduisante que nous demeurons spectateurs d’aventures bien fugaces malgré le réalisme de l’époque dépeinte. Les enjeux paraissent bien maigres tandis que les sentiments et le ressenti de Célestine ne sont que trop marqués – à l’instar des apartés toutefois intrigants – ou insaisissables. Ainsi la fin qu’offre à son récit Benoît Jacquot questionne tant les motivations formulées par sa protagonistes semblent nous être jetées à la figure.
JOURNAL D’UNE FEMME DE CHAMBRE
♥
Réalisation : Benoît Jacquot
France – 2015 – 96 min
Distribution : Cinéart
Drame
Berlinale 2015 – Compétition Officielle