Critique : Wrong Elements
En 1989, en Ouganda, Joseph Kony crée un mouvement rebelle contre le pouvoir, la LRA, « l’Armée de Résistance du Seigneur ». Suivront des enlèvements d’adolescents qui composeront les membres de cette armée. Ils seront plus de 60.000 en 25 ans. Aujourd’hui, moins de la moitié sont vivants. Ils ont quittés le « bush » et sont réinsérés dans la société. Une réalité singulière derrière laquelle se tisse les enjeux universels de tout endoctrinement et de toute réinsertion. Signant un documentaire au centre duquel il place l’humain, Jonathan Littell questionne la dualité d’une situation où ces hommes et ses femmes sont à la fois victimes et bourreaux.
Fort de contextualiser l’histoire du mouvement rebelle (depuis sa création jusqu’à la comparution de Dominic Ongwen à Lahaye devant la Cour Pénale Internationale pour crimes de guerre), Jonathan Littell compose un film à double voies/x qui relate chronologiquement l’histoire de la LRA tout en lui donnant corps et la mettant en relief à travers les témoignage d’ex-enfants soldats – Geofrey, Nighty, Mike et Lapisa. Et cette mise en perspective, moteur du documentaire, tient du fascinant.
Jonathan Littel offre aux témoins le rôle d’acteurs. Afin de mieux entendre leur histoire, il les invite à la rejouer. Ainsi, les gestes permettent de transcender la réalité des enlèvements dont la violence n’est pourtant qu’évoquée. Devenir soldat de la LRA, c’est avant tout survivre à sa mise à mort en devenant le témoin du massacre d’autres individus. Devenir soldat de la LRA, c’est perdre, radicalement, toute individualité en ayant pourtant pour seule motivation celle de demeurer vivant. Une mort en soi, dont ces soldats prennent aujourd’hui conscience.
A l’évocation répond la réalité quotidienne de ceux qui, considérés comme victimes, sont réinsérés dans la société. Un état de fait que questionne le réalisateur à travers le dialogue – entre lui et ses témoins comme entre ses témoins et leur entourage. Pour comprendre la réalité vécue par les enfants soldats, le réalisateur invite ses témoins à une nouvelle immersion dans le « bush » engendrant un basculement au coeur du film qui lui confère tout à la fois sa singularité et son caractère universel. Confronté à leur propre fantôme – celui de l’enfant assassiné au plus profond d’eux-mêmes – ses témoins replongent étonnement et littéralement en enfance à mesure qu’ils rejouent les gestes qui ont été les leurs. Des gestes dictés, imposés, et bientôt assimilés.
Plongés dans l’atrocité d’une guerre idéologique, ses enfants intègrent une philosophie dont le maître de pensé est Joseph Kony – élu divin. Et si leur sort leur semble scellé, celui des femmes est – sans surprise – plus atroce encore. Esclaves sexuels dont l’évocation du supplice ou de la mise à mort glace le sang.
Irrémédiablement, la question que pose Jonathan Littell dépasse la réalité singulière qu’il évoque. La dépersonnalisation dont sont victimes les enfants-soldats traverse l’Histoire des guerres et des idéologies. La question de la réinsersion, du jugement et du pardon aussi. Le réalisateur questionne ainsi la notion même d’humanité.
WRONG ELEMENTS
♥♥(♥)
Réalisation : Jonathan Littell
France / Belgique / Allemagne – 2016 – 139 min
Distribution : Wrong Men
Documentaire / Essai
Cannes 2016 – Sélection Officielle – Hors-Compétition